« Make healthy hydration the new norm »

Hydratation, humeur et fonctions cognitives

Résumé de récentes études démontrant que la déshydratation inférieure à 2% de la masse corporelle a un impact sur les fonctions cognitives.

Introduction

Si le corps humain est composé d’environ 60 % d’eau, le cerveau peut en contenir près de 75 %. L’hydratation est essentielle à l’homéostasie et à la survie humaine. Dans le cadre de ses fonctions corporelles, l’eau participe au maintien de fonctions cérébrales normales (EFSA, 2011; Lieberman, 2007). La cognition intervient dans toutes nos actions, notamment dans le discernement, la réflexion, la mémoire ainsi que dans la perception d’émotions et l’exercice d’un contrôle sur notre environnement. Il est donc naturel de s’interroger sur l’influence de l’état d’hydratation sur les fonctions cérébrales liées à la cognition. Plusieurs études se sont intéressées aux effets de la déshydratation et de l’augmentation de la consommation d’eau sur la cognition.

Le présent document vise à définir la cognition et à présenter les méthodes validées d’évaluation des fonctions cognitives. Il permet ainsi d’appréhender l’état actuel des connaissances sur l’hydratation et la cognition, tout en fournissant des recommandations officielles en matière d’apports quotidiens en eau.

Cognition

I. Définition et mesure de la cognition

I. 1. Définition de la cognition

Le terme « cognition » comprend tous les processus mentaux permettant aux humains de percevoir, penser et se remémorer, mais aussi de ressentir des émotions et d’exercer un contrôle sur leur environnement. Elle intervient dans tout ce qu’un humain est capable de faire (de Jager et al., 2014; Feist and Rosenberg, 2009; Neisser, 1967). Le présent document traite deux aspects majeurs de la cognition : les  fonctions cognitives et l’humeur.

  • Les fonctions cognitives font référence à des capacités telles que l’attention, la mémoire (à court et long termes ainsi que la mémoire de travail), l’apprentissage, le langage, les fonctions exécutives (raisonnement, planification, prise de décision) et les fonctions visuelles et psychomotrices (de Jager et al., 2014; EFSA, 2011; IOM, 2004; Neisser, 1967; Schmitt et al., 2005).
  • L’humeur inclut des sensations et émotions comme le bonheur, la tension, la vigueur ou la sérénité. Elle peut aussi comprendre des perceptions telles que l’humeur générale, la sensation de fatigue ou les maux de tête, et la difficulté perçue de concentration ou de réalisation d’une tâche (IOM, 2004; Masento et al., 2014; Neisser, 1967).

I. 2. Mesure de la cognition

La cognition comprend de nombreux domaines et fonctions à évaluer séparément, même s’ils sont tous très intimement liés (Schmitt et al., 2005). Pour étudier la performance relative à une fonction cognitive spécifique, le test doit évaluer la capacité des sujets à répondre à l’enjeu cognitif correspondant. Les tests doivent être sensibles aux différences entre sujets, mais également à celles entre les états d’un même individu (de Jager et al., 2014; Lieberman, 2012). Par exemple, selon le moment de la journée, des facteurs tels que la faim, une gêne physique ou la fatigue peuvent avoir un impact sur la performance. Un autre point à prendre en compte est l’effet d’apprentissage susceptible d’apparaitre après réitération des mesures (de Jager et al., 2014; Lieberman, 2007) .

Pour ces raisons, l’évaluation de la cognition est une tâche difficile et complexe, pour laquelle il existe de nombreuses méthodes. En fonction de l’objectif du travail de recherche et du paramètre à évaluer, cette évaluation peut inclure des mesures électrophysiologiques, la neuro-imagerie, des technologies d’imagerie cérébrale, des tests comportementaux ou des questionnaires sur l’humeur. Il n’existe à l’heure actuelle aucun consensus sur les méthodes les plus adaptées. La comparaison des résultats entre études s’avère en conséquence particulièrement difficile dans ce domaine (Lieberman, 2007). Ainsi, la plupart des évaluations de la cognition sont réalisées à l’aide d’une batterie de tests validés, c’est-à-dire des tests normalisés garantissant un niveau de confiance suffisant (de Jager et al., 2014; Lieberman, 2007). Pour l’étude du lien entre nutrition et cognition, deux types de tests sont couramment utilisés :

  • Les évaluations objectives de la performance : elles mesurent une fonction cognitive spécifique, telle que la mémoire, l’apprentissage ou l’attention. Dans le cadre de ces tests, il est demandé aux sujets d’effectuer une série de tâches. L’évaluation de la performance est généralement mesurée en fonction de critères de rapidité et d’exactitude de la réponse (de Jager et al., 2014).
  • Les questionnaires et échelles subjectifs d’évaluation du comportement et de l’humeur : ce sont des évaluations autodéclarées des changements dans l’humeur. La plupart de ces tests sont des échelles sur lesquelles les sujets notent eux-mêmes leurs perceptions et émotions.

Les technologies de neuro-imagerie peuvent fournir une preuve d’un changement cognitif, mais elles ne sont pas largement utilisées dans le domaine de la cognition et de la nutrition. La latence de l’onde P300, par exemple, est l’une des technologies les plus fréquemment employées pour mesurer le temps de réaction (Westenhoefer et al., 2004).

La Figure 1 synthétise les principales dimensions de la cognition et méthodes d’évaluation.

Figure 1. Principales dimensions de la cognition et méthodes d’évaluation

I. 3. Interventions nutritionnelles dans le domaine de la cognition

La nutrition influence à la fois le développement et le maintien de la structure et des fonctions cérébrales. Elle a donc, en toute logique, été associée à la cognition (Burkhalter and Hillman, 2011). L’intérêt porté aux liens entre la consommation d’aliments et de liquides et la performance cognitive s’est par conséquent accru (de Jager et al., 2014).

L’évaluation des fonctions cognitives humaines demeure néanmoins une tâche difficile et complexe (Lieberman, 2007). Il est fondamental de tenir compte de l’impact majeur de certains médicaments ou certaines pathologies sur la cognition, comparativement aux changements plus subtils induits par les interventions nutritionnelles (Lieberman et al., 2005 ; Lieberman, 2007). Les tests utilisés pour évaluer les effets de différents aliments et nutriments consommés doivent alors être soigneusement choisis : ils doivent être suffisamment sensibles à l’intervention nutritionnelle (Lieberman, 2007). De tels tests sont développés depuis plus d’un siècle (de Jager et al., 2014 ; Lieberman, 2007). Cela étant, les tests disponibles étant nombreux et non nécessairement sensibles aux mêmes nutriments, l’analyse et la comparaison des différentes études présentent une difficulté substantielle (voir la Figure 2).

S’agissant de l’impact de l’eau sur la cognition, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA, European Food Safety Authority) a publié, en 2011, un rapport corroborant l’avis partagé par la communauté scientifique d’une contribution de l’eau au maintien de fonctions cognitives et physiques normales. Il a d’ailleurs été rapporté à plusieurs reprises qu’un déficit en eau peut altérer les fonctions cognitives (EFSA, 2011). En dépit de preuves de plus en plus nombreuses des effets délétères de la déshydratation sur la cognition (voir la partie III), seules quelques études se sont intéressées à l’apport hydrique (voir la partie IV), et plus rares encore sont celles qui portent sur la consommation habituelle d’eau et les changements comportementaux (voir la partie V). Cette absence de données pourrait s’expliquer par la difficulté supplémentaire posée par l’évaluation précise de la consommation d’eau et de l’état d’hydratation dans la comparaison des résultats (Lieberman, 2007).

Figure 2. Difficultés rencontrées dans l’étude des effets de l’hydratation sur la cognition

Messages à retenir

Mise en jeu dans toutes nos actions, la cognition comprend de nombreuses composantes toutes interreliées. Elle peut être scindée en deux dimensions principales : l’humeur, évaluée au moyen de questionnaires et d’échelles auto évalués, et les fonctions cognitives, mesurée par des tests objectifs de performance.

Déshydratation

II. Déshydratation et cognition

Il apparait de plus en plus évident que les fonctions cognitives sont altérées en cas de perte d’eau corporelle non compensée (EFSA, 2011). De façon plus générale, de nombreuses études se sont focalisées sur les troubles cognitifs dus à des taux de déshydratation supérieurs à 2 % de perte de masse corporelle. La question des effets sur la cognition d’une déshydratation modérée (≤ 2 % de perte de masse corporelle) a uniquement été abordée au cours de la dernière décennie (Grandjean, 2007; Masento et al., 2014).

II. 1. Taux de déshydratation supérieur à 2 % de perte de masse corporelle

Les effets de la déshydratation sur la performance cognitive ont été à l’origine étudiés dans des conditions extrêmes, chez le soldat ou l’athlète. Les taux de déshydratation, généralement supérieurs à 2 % de perte de masse corporelle, étaient atteints suite à un effort physique intense et/ou à une exposition à de fortes chaleurs, parfois associée à un jeûne liquidien (Grandjean, 2007; Lieberman, 2007; Masento et al., 2014).

En 1988, Gopinathan et al. ont étudié les impacts de quatre taux de déshydratation sur la performance cognitive. Réalisée chez 11 jeunes soldats (âgés de 20 à 25 ans), leur étude impliquait une déshydratation induite par une privation d’eau associée à la chaleur et à un effort physique. Quand les taux de déshydratation dépassaient 2 % de perte de masse corporelle, les résultats montraient une diminution de la mémoire à court terme, de l’efficience en calcul simple ainsi que de la vitesse motrice et de l’attention (Gopinathan et al., 1988).

Il a été montré à plusieurs reprises qu’une déshydratation supérieure à 2 % de perte de masse corporelle avait des effets négatifs à la fois sur les sensations subjectives et sur la performance cognitive. À ces taux de déshydratation, les facultés cognitives touchées étaient : la mémoire à court terme, l’attention, la concentration, le traitement des informations, les fonctions exécutives, les fonctions de coordination et la vitesse motrice (Baker et al., 2007; Cian et al., 2000; Epstein et al., 1980; Sharma et al., 1986). Au-delà de 2 %, l’humeur et les sensations étaient aussi altérées, notamment la fatigue et l’effort physique perçu, la tension, la confusion, la colère, l’état émotionnel et l’humeur générale (Cian et al., 2000 ; Ely et al., 2013 ; McGregor et al., 1999 ; Sharma et al., 1986). Ces résultats doivent néanmoins être interprétés avec prudence, d’autres études n’ayant mis en évidence aucune influence de la déshydratation sur des fonctions telles que la mémoire à court terme, l’apprentissage grammatical, le traitement des informations, l’attention ou la vigilance (Ely et al., 2013; Grego et al., 2005; Tomporowski et al., 2007).

Ces disparités et contradictions dans les résultats d’une étude à une autre peuvent être imputées à la grande variété de méthodes utilisées. De nombreux tests et questionnaires sont disponibles pour évaluer la performance cognitive et les sensations subjectives. Les taux de déshydratation peuvent varier de 2 à 4 % de perte de masse corporelle, et les méthodes de déshydratation employées diffèrent également entre les études. Enfin, l’exercice physique en lui-même et l’hyperthermie concomitante, qui induisent tous deux des changements dans la performance cognitive, peuvent s’avérer des facteurs de confusion (Tomporowski and Ellis, 1986). De plus, dans les groupes témoins, garantir une euhydratation par la consommation d’eau pour compenser les pertes sudorales rend difficile la réalisation d’études en aveugle (Grandjean, 2007; Lieberman, 2007; Masento et al., 2014).

Un taux de déshydratation de 2 % de perte de masse corporelle ou plus est susceptible d’induire une augmentation de la fatigue ressentie, une dégradation de fonctions cognitives telles que la mémoire et l’attention ainsi qu’une altération de l’humeur.

II. 2. Taux de déshydratation inférieur à 2 % de perte de masse corporelle

Ces dix dernières années, des scientifiques ont commencé à étudier les répercussions sur la cognition d’une déshydratation modérée (inférieure à 2 % de perte de masse corporelle). L’équilibre hydrique évoluant au cours de la journée, une déshydratation modérée peut être ressentie au quotidien, ce qui explique l’intérêt croissant pour ses conséquences cognitives. Deux types de protocoles expérimentaux sont généralement utilisés : soit un jeûne liquidien associé à des pertes sudorales induites par un effort physique, soit un jeûne hydrique seul.

II. 2. 1. Déshydratation induite par un exercice physique

En 2009, D’Anci et al. ont provoqué une déshydratation par un effort physique chez 31 jeunes athlètes (16 hommes, 15 femmes, âge moyen 20 ans). L’exercice, 60 minutes intensives de rameur, était suivi par une batterie de tests cognitifs ainsi que par des questionnaires d’auto-évaluation de l’humeur et de la soif. Le taux de déshydratation atteint, de 2,0 % de perte de masse corporelle chez les hommes et de 1,65 % chez les femmes, a entrainé une dégradation de tous les paramètres du questionnaire POMS (Profile Of Mood State, profil des états d’humeur). Aucun des paramètres relatifs à l’humeur ne différait selon le sexe, sauf pour le temps de réaction face à un choix et la vigilance visuelle (D’Anci et al., 2009). Si les auteurs ont utilisé des tests validés, l’étude n’a pas été réalisée en aveugle et aucun contrôle de la température corporelle n’a été effectué. L’induction d’une déshydratation par l’exercice implique en effet certaines limitations : ici encore, l’exercice, l’hyperthermie corporelle, ainsi que la consommation d’eau garantissant l’euhydratation dans le groupe témoin, sont connus pour être des facteurs de confusion (Grandjean, 2007; Lieberman, 2007; Masento et al., 2014).

Plus récemment, Armstrong et al. ainsi que Ganio et al. ont publié deux études bien contrôlées portant sur une déshydratation modérée induite par un effort physique. Toutes deux considéraient l’hyperthermie comme facteur de confusion possible dans l’évaluation de la performance cognitive ; elles ont également contrôlé que l’état de déshydratation était atteint sans augmentation de la température corporelle. Ces études ont été réalisées en aveugle avec l’administration d’un diurétique dans un des groupes. Elles comprenaient trois groupes : déshydratation induite par un effort physique plus diurétique, déshydratation induite par un effort physique plus placebo, et effort physique avec maintien de l’euhydratation. L’exercice consistait en 40 minutes de marche sur tapis roulant dans un environnement tempéré (27,7 °C). Dans les deux études, le taux de déshydratation induite a été supérieur à 1 % de perte de masse corporelle et a entrainé une augmentation de la densité urinaire (Armstrong et al., 2012; Ganio et al., 2011). Chez les hommes, un taux de déshydratation modérée de 1,6 % de perte de masse corporelle a entrainé une baisse de la vigilance visuelle et de la mémoire de travail ainsi qu’une augmentation de la sensation de fatigue et d’anxiété (Ganio et al., 2011). Chez les femmes, un taux de déshydratation modérée de 1,4 % de perte de masse corporelle a entrainé une dégradation de la vigueur, une augmentation de la fatigue, une perturbation de l’humeur globale plus importante et un accroissement de la difficulté à réaliser des tâches cognitives et à se concentrer. Fait notable, les femmes ont également signalé une hausse de la fréquence des maux de tête. Toutefois, si l’humeur était touchée, la même étude n’a révélé aucune différence dans les performances cognitives (Armstrong et al. 2012). Ces deux études, effectuées dans les mêmes conditions et utilisant les mêmes méthodes, suggèrent des différences entre l’homme et la femme face aux effets d’une déshydratation modérée. Alors qu’elle semble affecter principalement la performance cognitive chez l’homme, une déshydratation inférieure à 2% de perte de masse corporelle semble avoir un faible impact sur les fonctions cognitives et des effets plus importants sur l’humeur chez la femme. Dans la plupart des études réalisées chez l’adulte, l’humeur apparait affectée par une déshydratation modérée induite par un effort physique. En revanche, les données relatives aux effets sur la performance cognitive ne sont pas constantes et varient entre les études. Ces divergences peuvent être dues aux impacts cognitifs de l’exercice lui-même, susceptible de parasiter ou masquer un éventuel effet de l’hydratation. Des études plus contrôlées seraient nécessaires pour démêler les effets différentiels sur les fonctions cognitives d’une déshydratation modérée induite par un effort physique.

Les mécanismes expliquant les éventuels effets de la déshydratation sur la cognition n’ont jusqu’à présent guère été évalués ; ce sujet est abordé dans la partie V. Une étude chez l’adolescent offre, par ailleurs, des indications sur les changements physiques potentiels dans le cerveau résultant d’une déshydratation modérée. Kempton et al. ont provoqué un taux de déshydratation de 1 à 2 % de perte de masse corporelle par l’exercice physique. À l’aide de techniques d’imagerie, ils ont mesuré l’activité neuronale pendant que les sujets effectuaient une tâche cognitive. S’ils n’ont observé aucune différence dans l’exécution de la tâche, ils ont, en revanche, constaté une augmentation de l’activité cérébrale dans des zones médiatrices des fonctions exécutives (Kempton et al., 2011). Les auteurs ont émis la supposition qu’en état de déshydratation, les sujets pouvaient être conduits à augmenter les ressources cognitives nécessaires à la réalisation de la tâche, ce qui suggère que les tâches deviennent plus éprouvantes dans cet état.

II. 2. 2. Déshydratation modérée obtenue par jeûne hydrique

Ces dernières années, afin d’écarter l’éventuel effet parasite de l’effort physique, le jeûne hydrique seul a été utilisé pour induire une déshydratation modérée chez le sujet jeune et en bonne santé. Comme il s’agit d’un nouveau domaine d’intérêt, seules quelques études sont disponibles à ce jour. Les résultats varient entre les études, probablement en raison de différences dans les méthodes d’évaluation des fonctions cognitives.

Selon les résultats obtenus par certaines de ces études, il est fréquemment rapporté que le jeûne hydrique semble avoir des effets sur la perception des sensations veille-sommeil, telles que la lassitude et la fatigue ou l’effort (D’Anci et al., 2009 ; Shirreffs et al., 2004 ; Szinnai et al., 2005). Dans une étude réalisée par Pross et al. sur des jeunes femmes, les auteurs ont mis en évidence qu’un jeûne liquidien de 24 heures entrainait une altération de l’humeur, avec plusieurs paramètres concernés, notamment la fatigue et la vigueur, la vigilance, la confusion, la sérénité et la satisfaction, la tension ainsi que l’état émotionnel (Pross et al., 2013). Dans une étude menée par Shirreffs et al. portant sur un jeûne liquidien de 37 heures, les 9 hommes et 6 femmes recrutés ont signalé une baisse de la vigilance et de la capacité de concentration dès 10 heures de jeûne. Les sujets ont spontanément déclaré une difficulté encore plus grande à se concentrer et à rester alertes après 24 ou 37 heures (Shirreffs et al., 2004). Cela étant, dans une étude réalisée chez 10 jeunes hommes (âge moyen 25 ans), Petri et al. n’ont constaté aucun effet du jeûne liquidien sur les paramètres liés à l’humeur après 24 heures (Petri et al., 2006). Ces différences de résultats pourraient s’expliquer par le sexe des sujets concernés. En effet, il apparait que l’homme et la femme ne sont peut-être pas affectés de la même façon par une déshydratation modérée (Armstrong et al., 2012; Ganio et al., 2011). Cette hypothèse est étayée par une étude réalisée par Szinnai et al., révélant une influence importante du sexe sur diverses tâches cognitives (Szinnai et al., 2005).

II. 2. 3. Déshydratation volontaire

Sans déshydratation induite, certains marqueurs biologiques peuvent mettre en évidence une hydratation sous-optimale. Par exemple, une élévation de l’osmolalité urinaire peut apparaitre quand l’apport en liquides est insuffisant pour compenser de façon adéquate les pertes hydriques, entrainant une rétention de l’eau dans le corps via un mécanisme d’antidiurèse. Ce phénomène, appelé « déshydratation volontaire », a principalement été observé chez l’enfant et la personne âgée. Chez l’enfant, il s’explique essentiellement par le manque d’eau disponible dans les écoles, tandis que chez la personne âgée, il peut être dû à une diminution de la sensation de soif et à l’incontinence (Bar-David et al., 2005; Masento et al., 2014).

Les conséquences d’une déshydratation volontaire sur la cognition n’ont à ce jour pas été étudiées de façon approfondie. Chez l’enfant, Bar-David et al. ont constaté une influence de la déshydratation volontaire sur la mémoire immédiate : un enfant présentant une osmolalité urinaire matinale supérieure à 800 mOsm (groupe déshydraté) obtenait des scores plus faibles au test auditif de mémoire de chiffres qu’un enfant hydraté, défini comme un enfant dont l’osmolalité urinaire matinale est inférieure à 800 mOsm (Bar-David et al., 2005). Si la déshydratation volontaire chez la personne âgée a suscité un intérêt certain, dans les études concernées, le thème de la cognition n’a été que très peu étudié. Suhr et al. ont observé des corrélations entre l’état d’hydratation et (a) la vitesse de traitement psychomotrice, l’attention et la mémoire chez l’adulte plus âgé en bonne santé, et (b) la mémoire déclarative et de travail chez la femme postménopausée (Suhr et al., 2004; Suhr et al., 2010).

Chez l’adulte, Kenefick et al. ont rapporté une augmentation du taux d’accidents du travail en été, suggérant qu’une déshydratation volontaire associée à des températures élevées est susceptible d’avoir un effet sur la performance cognitive et la prise de décision (Kenefick and Sawka, 2007).

Même des taux plus modérés de déshydratation (inférieurs à 2 % de perte de masse corporelle) peuvent accroitre la fatigue et altérer l’humeur. Une possible dégradation des fonctions cognitives apparait en outre de plus en plus clairement.

Figure 3. Effets couramment signalés de la déshydratation sur l’humeur et les fonctions cognitives

II. 2. 4. Recommandations pour les futurs travaux de recherche

Les disparités dans les méthodes complexifient la comparaison des résultats entre études ainsi que l’obtention d’une conclusion sur les effets généraux d’une déshydratation modérée sur la cognition. Pour les travaux de recherche ultérieurs, il est donc conseillé d’inclure des contrôles pour l’exercice physique et pour l’apport en eau et autres liquides consommés, ainsi qu’une mesure précise de l’état d’hydratation, utilisant les marqueurs biologiques d’hydratation. Un plus grand nombre d’études est de surcroit nécessaire pour fournir de plus amples recommandations sur les tests cognitifs sensibles à l’hydratation et aux interventions nutritionnelles (Lieberman, 2007).

Dans l’ensemble, la plupart de ces études ont révélé qu’une déshydratation modérée altérait plusieurs paramètres de l’humeur. Les conclusions demeurent imprécises quant à la performance cognitive, pour laquelle, d’une part, les résultats varient selon les méthodes utilisées et les paramètres étudiés, et, d’autre part, une influence du sexe semble se dessiner (Lieberman, 2007 ; Masento et al., 2014). Les sujets signalant souvent une augmentation de la difficulté à se concentrer et à réaliser des tâches cognitives, l’une des hypothèses courante est celle d’une mise en œuvre de mécanismes de compensation cognitive (voir la partie V) (Szinnai et al., 2005).

Messages à retenir

La déshydratation présente des effets délétères sur la cognition. Même à un taux inférieur à 2% de perte de masse corporelle, une sensation de fatigue apparait, l'humeur est altérée et plusieurs fonctions cognitives semblent réduites (mémoire, attention etc.). L'absence de compensation des pertes hydriques est par conséquent susceptible d'entrainer une dégradation des fonctions cognitives.

Effets sur la cognition

III. Effet de l’apport en eau sur la cognition

Les répercussions sur les fonctions cognitives d’un apport hydrique et les effets immédiats de la consommation d’eau ont été principalement étudiés chez l’enfant, en raison du risque particulier de carence en eau et de la difficulté éthique de restreindre la consommation d’eau chez cette population (Masento et al., 2014). Chez l’enfant, des apports en eau de 200 à 650 ml ont montré une baisse immédiate de la sensation de soif ainsi qu’une amélioration du bonheur ressenti, de la mémoire, des capacités motrices, de l’attention visuelle et de la recherche visuelle (Benton and Burgess, 2009; Booth et al., 2012; Edmonds and Burford, 2009; Edmonds and Jeffes, 2009). Durant une journée d’école, Fadda et al. ont demandé à des enfants d’augmenter leur consommation de liquides d’un litre (l’augmentation moyenne a été en réalité de 625 ml sur la journée). Comparés aux enfants n’ayant pas bu d’eau supplémentaire, ceux qui ont augmenté leur consommation ont rapporté une vigueur plus grande et ont obtenu de meilleurs résultats aux tâches de mémoire à court terme (Fadda et al., 2012). Plus récemment, dans une étude de cohorte effectuée chez 447 étudiants de premier cycle universitaire, Pawson et al. ont constaté de meilleurs résultats chez les étudiants ayant apporté de l’eau à l’examen ; les volumes d’eau consommés n’avaient toutefois pas été mesurés (Pawson et al., 2013). 

Chez l’adulte, la consommation d’eau suite à une période de jeûne liquidien et/ou de jeûne a révélé à plusieurs reprises une amélioration de l’état d’éveil et de fonctions cognitives telles que la vigilance, l’attention et le temps de réaction, ainsi qu’une diminution de la confusion ressentie (Edmonds et al., 2013b; Neave et al., 2001; Pross et al., 2013). Quand la consommation d’eau survient sans jeûne préalable, l’eau semble malgré tout avoir un effet positif sur la vigilance et l’attention visuelle (Edmonds et al., 2013a; Rogers et al., 2001). Cela étant, plusieurs études ont indiqué que l’effet bénéfique de la consommation d’eau sur l’état d’éveil dépendait de la soif éventuellement ressentie au préalable par les sujets (Edmonds et al., 2013b; Rogers et al., 2001).

Des maux de tête ont été signalés chez des sujets en état de déshydratation provoquée (Armstrong et al., 2012). Chez le patient atteint de migraines récurrentes, Spigt et al. ont observé une réduction des maux de tête et une amélioration de la qualité de vie des patients par une augmentation de la consommation d’eau de 0,8 l par jour au minimum (Spigt et al., 2005; Spigt et al., 2012).

Des effets immédiats de l’apport hydrique ont été observés à plusieurs reprises sur l’état d’éveil, améliorant la vigueur ressentie ainsi que sur la performance à une tâche requérant attention et vigilance. Chez l’enfant, l’eau semble également améliorer la mémoire à court terme.

Figure 4. Bénéfices couramment rapportés de la consommation d’eau sur l’humeur et les fonctions cognitives

Impact sur l'humeur

IV. Impact sur l’humeur d’une modification de l’apport en eau

À notre connaissance, seule une étude s’est intéressée à l’effet sur l’humeur d’un changement dans la consommation d’eau. Dans cette étude menée par Pross et al., il a été demandé à 52 sujets jeunes et en bonne santé de maintenir leur consommation habituelle d’eau durant deux jours initiaux, avant d’augmenter ou de diminuer cette consommation pendant les trois jours d’intervention. Les groupes avaient été constitués en fonction des consommations moyennes de la population française : un tiers des sujets buvaient moins de 1,2 l/jour (groupe des petits buveurs), un tiers entre 1,2 et 2 l/jour (exclus de l’étude) et le dernier tiers buvait plus de 2 l/jour (groupe des grands buveurs). Les sujets du groupe des petits buveurs ont commencé à leur consommation habituelle d’eau (1 l/jour), pour augmenter à 2,5 l/jour. Les 22 grands buveurs ont commencé à 2,5 l/jour, pour descendre à 1 l/jour.

Aucune différence dans l’humeur n’avait été constatée au départ entre les deux groupes. Après seulement trois jours d’intervention, les résultats ont montré un accroissement de la soif et une baisse de la satisfaction, de la sérénité et des émotions positives chez les grands buveurs ayant diminué leur apport en eau. Dans le groupe des petits buveurs, l’augmentation de l’apport hydrique a entrainé une baisse de la soif et de la confusion (Pross et al., 2014).

Figure 5. Effets rapportés d’un changement dans la consommation quotidienne d’eau sur l’humeur (Pross et al., 2014)

Messages à retenir

Les données scientifiques sont rares concernant les effets sur la cognition d’un changement dans la consommation quotidienne d’eau. Les données existantes suggèrent une modification de l’humeur après seulement 3 jours : une baisse de la consommation d’eau altèrerait l’humeur, tandis qu’une augmentation de celle-ci diminuerait la confusion, améliorant ainsi l’état d’éveil.

Mécanismes

V. Mécanismes présumés liant l’eau et la cognition

L’hypothèse suivante a été émise : les effets positifs de l’eau sur la cognition seraient imputables à un effet psychologique d’attente. Cette hypothèse a néanmoins été récemment rejetée, suite à une étude menée par Edmonds et al.; celle-ci a inclus 47 adultes, parmi lesquels certains ont reçu de l’eau sans savoir que cela faisait partie de l’expérience (un verre d’eau avait été proposée aux sujets durant une conversation, sans avertissement). Certains groupes de sujets avaient été informés de l’impact potentiel de l’eau sur leurs fonctions cognitives, d’autres non. Les auteurs ont observé des effets positifs d’une consommation d’eau dans tous les groupes (en attente ou non) (Edmonds et al., 2013a).

Plusieurs mécanismes physiologiques sont susceptibles d’intervenir dans les conséquences cognitives de la déshydratation. Le principal mécanisme connu lié à la déshydratation met en jeu une hormone, la vasopressine (également appelée arginine-vasopressine, AVP, ou hormone antidiurétique, ADH, de l’anglais Antidiuretic Hormone). La déshydratation provoque une légère hausse de l’osmolalité sanguine, détectée par des récepteurs spécialisés envoyant le signal pour la libération d’AVP. L’augmentation de l’AVP circulante semble accroitre la synthèse de cortisol dans la corticosurrénale. Les hypothèses relatives à la façon dont ce processus affecte la performance cognitive s’appuient sur des essais chez l’animal ayant montré une association entre le cortisol et une dégradation de la mémoire, une réduction de la vitesse de traitement des informations et une altération de l’apprentissage actif (Masento et al., 2014; Wilson and Morley, 2003). En parallèle, l’AVP induit également une sensation de soif. D’après les hypothèses, cette sensation entrerait en concurrence avec d’autres tâches cognitives pour l’obtention des ressources, ce qui entrainerait par conséquent une baisse de l’attention (Masento et al., 2014). Ces hypothèses sont résumées dans la Figure 2.

Figure 6. Conséquences physiologiques de la déshydratation et mécanismes présumés engagés dans les répercussions cognitives

Valeurs

VI. Valeurs nutritionnelles de référence de l’eau

Des valeurs nutritionnelles de référence pour l’apport total en eau (eau provenant des aliments et des liquides) ont été définies par plusieurs organisations (EFSA, 2010; IOM, 2004). Contrairement à de nombreux autres nutriments, trop peu d’études ont été menées sur la quantité d’eau requise pour prévenir les maladies ou améliorer la santé. En 2010, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA, European Food Safety Authority) a établi des valeurs de référence pour l’apport total en eau au sein de la population générale. Ces apports adéquats, variables selon l’âge et le sexe, sont présentés dans le Tableau 1 (EFSA, 2010).

Tableau 1. Valeurs de référence pour l’apport total en eau (eau issue des aliments + eau provenant des liquides) par groupe d’âge (EFSA, 2010)

L’EFSA a estimé que les liquides constituaient environ 80 % de l’apport total en eau et les aliments 20 % (EFSA, 2010). Les apports adéquats sont par conséquent équivalent à la consommation de 1,6 l d’eau par jour pour une femme adulte, 2,0 l par jour pour un homme adulte, 1,8 l par jour pour une femme enceinte et 2,2 L par jour pour une femme allaitante.

Pour définir ces apports adéquats, l’EFSA s’est appuyée sur les données de multiples enquêtes nationales de consommation, sur la charge osmotique correspondante et sur les volumes urinaires nécessaires pour atteindre une osmolalité urinaire souhaitable de 500 mOsm/l (EFSA, 2010).

Par la suite, l’EFSA a déclaré que l’eau contribuait au maintien de performances physiques et cognitives normales. En parallèle de cette déclaration et sur la base de son précédent avis scientifique sur l’apport hydrique, l’EFSA a approuvé l’allégation relative à un apport total de 2,0 l d’eau par jour chez l’adulte (EFSA, 2011).

Messages à retenir

D’après l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, l'eau contribue au maintien de performances physiques et cognitives optimales. Chez l’adulte, l’EFSA considère qu’une quantité de 2,0 l d’eau par jour représente un apport adéquat.

Conclusion
  • Mise en jeu dans toutes nos actions, la cognition comprend de nombreuses composantes toutes interreliées. Elle comporte deux dimensions principales : l’humeur, évaluée au moyen de questionnaires et d’échelles auto-évaluées, et les fonctions cognitives, mesurées par des tests objectifs de performance.
  • La déshydratation présente des effets délétères sur la cognition.
  • Un taux de déshydratation de 2 % de perte de masse corporelle ou plus est susceptible d’induire une augmentation de la fatigue ressentie, une dégradation de fonctions cognitives telles que la mémoire et l’attention ainsi qu’une altération de l’humeur.
  • Même à un taux inférieur à 2 % de perte de masse corporelle, une sensation de fatigue apparait, l’humeur est altérée et plusieurs fonctions cognitives pourraient être réduites (mémoire, attention, etc.).
  • L’absence de compensation des pertes hydriques est par conséquent susceptible d’entrainer une dégradation des fonctions cognitives.
  • Des effets immédiats de l’apport hydrique ont été observés à plusieurs reprises sur l’état d’éveil, au travers d’une amélioration de la vigueur ressentie ainsi que de la performance à une tâche requérant attention et vigilance.
  • Chez l’enfant, l’eau semble également améliorer la mémoire à court terme.
  • Les données scientifiques sont rares concernant l’influence sur la cognition d’un changement dans la consommation habituelle d’eau. Les données existantes suggèrent qu’une baisse de la consommation d’eau altèrerait l’humeur, tandis qu’une augmentation de celle-ci diminuerait la confusion.
  • D’après l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), une bonne hydratation garantit des performances physiques et cognitives optimales.
  • Chez l’adulte, l’EFSA considère qu’une quantité de 2,0 l d’eau par jour représente un apport adéquat.
Références